Opérer sans ouvrir, ou presque
"C'est un robot sans tête, mais à trois bras aux multiples articulations. A chaque extrémité, le chirurgien arrime ses instruments miniaturisés, pince, ciseaux, et, bien sûr, une caméra. Cinq petites incisions de 5 à 12 millimètres sont réalisées au-dessus du nombril du patient, et c'est parti pour une opération en trois dimensions dans la cavité abdominale. Ce matin-là de mai, dans un bloc opératoire de l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris, le docteur Christophe Vaessen doit procéder à une ablation complète de la prostate sur un homme de 64 ans atteint d'un cancer localisé".
"Installé à 2 mètres de son malade, le chirurgien est assis devant une console, les yeux rivés sur la visionneuse où le champ chirurgical apparaît en trois dimensions. Ses doigts actionnent des manettes afin de diriger les bras du robot alors que ses pieds, posés sur des pédales, zooment au plus près les organes à atteindre. 'C'est comme si mes deux mains étaient dans le ventre du patient, mais qu'elles mesuraient 5 millimètres et pouvaient pivoter à 360 degrés', s'enthousiasme le docteur Vaessen. Le chirurgien écarte, pince, sectionne. A côté du patient, un écran, où l'image est décuplée, permet au médecin assistant de suivre la progression des instruments dans l'abdomen. Plus ceux-ci s'approchent de la prostate, plus les gestes du chirurgien se transforment en travail de dentellière. Deux heures après l'installation du robot, la prostate ne tient plus qu'à un fil. Un Endobag, sorte de mini 'filet de pêche', est alors introduit dans l'une des incisions ; la prostate 'tombe' dans l''épuisette', qui se referme. Il ne reste plus qu'à la sortir et à recoudre.
Depuis 2000, six robots de ce type, dénommés Da Vinci™ - en référence à l'ingéniosité de Léonard de Vinci -, sont utilisés en France, à Paris, Lyon, Bordeaux, Nancy, en urologie et en chirurgie cardiaque. Les avantages ? 'Les saignements sont diminués, le patient n'a plus de grande balafre au milieu du thorax, et la récupération est bien meilleure, il peut reprendre ses activités beaucoup plus rapidement', énumère le docteur Thierry Folliguet, chirurgien cardiaque à l'Institut mutualiste Montsouris de Paris, qui utilise le robot pour des réparations de valve mitrale et des pontages d'artères coronariennes. Le robot permet également de travailler à coeur battant, évitant le recours toujours risqué à une pompe cardiaque artificielle. Pour le chirurgien, la marge de manoeuvre est meilleure que celle de la coelioscopie, grâce à la vision en 3D et aux instruments, qui ne sont plus raides, mais articulés. Quatre cents machines ont été commercialisées dans le monde, dont 250 aux Etats-Unis. Ce système chirurgical est produit par une seule société californienne, Intuitive Surgical. Son coût : 1, 3 million d'euros, sans compter les 75 000 euros par an de maintenance.
Serons-nous, dans dix ans, tous opérés par des robots pilotés par des chirurgiens ? 'Nous en sommes aux balbutiements', considère le docteur Folliguet. 'C'est une phase d'évaluation et de comparaison avec ce qui se faisait auparavant', ajoute le docteur Vaessen, selon lequel le robot participe d'une chirurgie de moins en moins invasive. 'Pour le moment, les résultats enregistrés sur les patients opérés sont favorables.' Mais les systèmes actuels sont perfectibles.
En chirurgie cardiaque, ces robots ne peuvent être utilisés que pour des opérations simples, car le temps opératoire est plus long que lors d'interventions classiques, dites 'à ciel ouvert'. En urologie, la réduction des effets secondaires de l'ablation complète de la prostate - problèmes d'érection et risque d'incontinence - n'est pas encore avérée. Sans compter le problème du coût financier de ce matériel et la nécessité d'une équipe de bloc chirurgical formée. Ce n'est pas un hasard si la plupart des médecins qui se sont lancés dans cette aventure font partie de la génération des quadras. Les plus anciens, habitués à la chirurgie traditionnelle, sont moins enclins à s'engager dans cet univers de grande technicité.
Pour autant, la chirurgie du futur est déjà annoncée. 'D'autres robots encore plus performants arriveront un jour avec des bras comme des serpents', pronostique M. Folliguet. A plus long terme, le chirurgien, comme un pilote d'avion et son simulateur de vol, pourrait s'entraîner au bon geste opératoire sur un organe virtuel, copie conforme de celui à opérer. Les gestes opératoires seraient enregistrés. 'Le robot et l'ordinateur agiraient ensuite à la place du chirurgien pour accomplir l'opération parfaite. Le médecin resterait là pour anticiper un éventuel accident', explique le professeur Jacques Marescaux. Ce chef de service de chirurgie digestive au CHU de Strasbourg a été le premier, en septembre 2001, à réaliser une opération à distance entre France et Etats-Unis : l'ablation de la vésicule grâce à un robot télécommandé. 'Nous allons vers une amélioration de la sécurité et de la qualité des procédures chirurgicales grâce à la simulation', considère le professeur d'urologie Guy Vallancien, secrétaire général du Conseil national de la chirurgie. 'Un jour, les jeunes chirurgiens se formeront en virtuel devant un ordinateur avec des manettes de robot', résume M. Folliguet.
Le développement des robots dans les salles d'opération devrait entraîner, dans les deux prochaines décennies, une autre révolution : une nouvelle organisation de la chirurgie, avec l'émergence de vastes 'halls opératoires' dans lesquels 'on pourra réaliser quatre prostatectomies en même temps avec quatre chirurgiens juniors et un chirurgien senior qui, à l'image d'un réalisateur de télévision, supervisera le tout à partir de sa console-maître', pronostique Guy Vallancien. 'Nous passerons de la chirurgie artisanale à l'industrielle. Ce ne seront plus les chirurgiens, mais les infirmières-panseuses, qui seront au-dessus du malade. La robotique finira par améliorer la productivité de l'acte chirurgical. Nous changerons complètement de métier'."
Article de Sandrine Blanchard
CHRONOLOGIE
"XVIE SIÈCLE
Ambroise Paré codifie des traitements expérimentés sur des
soldats, comme la ligature des vaisseaux.
XIXE SIÈCLE.
Plusieurs techniques chirurgicales se standardisent pendant les guerres napoléoniennes.
1842.
Le médecin américain Crawford Long a l'idée d'endormir un patient en lui faisant respirer de l'éther, pour une intervention superficielle. Le chloroforme est utilisé 5 ans plus tard.
1943.
Apparition de la lidocaïne, l'anesthésique local le plus utilisé aujourd'hui.
1967.
Première greffe du coeur réalisée en Afrique du Sud par le professeur Christian Barnard.
1980.
Début de la chirurgie non invasive, avec le développement de la coelioscopie qui utilise des minicaméras.
2001.
Première opération robotisée à distance. Le professeur Jacques Marescaux était à Boston ( Etats-Unis), et la patiente à Strasbourg (France)".
Source :
LeMonde.fr (Siences)