Entretien avec le Prof. Laurent Boccon-Gibod, chef du service de chirurgie urologique, hôpital Bichat (Paris) : annoncer à quelqu'un qu'il a un cancer

Bonjour Professeur. Je fais partie du grand public et ai travaillé à Intuitive Surgical Europe® (la société qui commercialise le système de chirurgie assistée par ordinateur da Vinci ™).
En mai 2005, j'ai initié un Blog d'information sur la chirurgie mini invasive (essentiellement la chirurgie robotique), ainsi que sur le prélèvement d'organes. L'idée de ce journal en ligne est de faciliter le dialogue entre les non spécialistes (les usagers de la santé) et les médecins et chirurgiens, sur des questions que le grand public peut se poser, face au développement des nouvelles techniques et procédés chirurgicaux, ainsi qu'aux questions d'éthique.

Quelles sont selon vous les perspectives de développement de la chirurgie robotique en France ?

Professeur Laurent Boccon-Gibod : "Les perspectives du développement de la chirurgie robotique en France sont réelles. Tout particulièrement d'une part dans le domaine de la chirurgie cardiovasculaire, mais aussi dans le domaine de la chirurgie viscérale."

Qu'apporte actuellement la chirurgie robotique dans le traitement chirurgical de certaines maladies, comme le cancer de la prostate, du point de vue du chirurgien ?

Professeur Laurent Boccon-Gibod : "Dans le cadre de la chirurgie urologique, qui est ma spécialité, la chirurgie robotique est promise très certainement à un avenir de développement dans la prostatectomie radicale pour cancer. Elle semble avoir une efficacité égale à celle de la prostatectomie coelioscopique. Il n'est pas actuellement démontré que la chirurgie coelioscopique fasse mieux que la chirurgie traditionnelle à ciel ouvert dans les différents paramètres de la post-opératoire. Par ailleurs, indiscutablement, dans une période de contraintes budgetaires, la chirurgie robotique représente un coût ajouté considérable, non seulement en terme d'achat du matériel, mais surtout en terme de consommable et de maintien de l'appareil en bon fonctionnement".

Le docteur Domenico Savatta (Chief of Minimally Invasive and Robotic Adult Urologic Surgery, Newark Beth Israel Medical Center, New Jersey) est l'auteur d'un Blog sur la chirurgie robotique : Robotic Surgery Blog.

Avec ses collègues, il s'est posé la question : comment annoncer au patient qu'il a un cancer de la prostate ? Il souhaiterait avoir l'avis des spécialistes français.

==> Lien vers l'article du Dr. Savatta (traduit en français) : cliquer ici
==> Lien vers l'article du Dr. Savatta (en anglais) : cliquer ici.

Donc je vous pose la question : comment annoncez-vous au patient qu'il a un cancer de la prostate ?


Professeur Laurent Boccon-Gibod : "Les patients sont en général extrêmement avertis de tout ce qui a trait au cancer de la prostate. En fait, l'annonce se fait en général en plusieurs étapes :

1) dans une première étape, les patients sont informés que soit les données du toucher rectal, soit les données du dosage de l'antigène prostatique spécifique sont anormales
2) une fois ceci fait, ils sont informés de la nécessité de réaliser une échographie endorectale avec biopsies prostatiques, examen qui serait impliqué par le caractère positif de la biopsie, et qui commence à être évoqué
3) enfin, au retour de la biopsie prostatique, les patients sont informés que la biopsie prostatique a mis en évidence l'existence d'une tumeur maligne et qu'en fonction du profil de la lésion, les différentes possibilités thérapeutiques seront discutées.


Comme vous le voyez, il s'agit, dans les faits, d'un processus d'annonce qui se déroule par étapes, au cours desquelles on avertit le patient qu'en fait, certes il existe un cancer de la prostate, mais qu'il s'agit là d'une tumeur d'évolution habituellement extrêmement lente, dont l'impact sur le pronostic vital à moyen et long terme est souvent relativement peu important, ce qui a l'avantage de laisser le temps de la réflexion pour choisir la meilleure thérapeutique à envisager".

La question du chirurgien urologue de Newark Beth Israel Medical Center, dans le New Jersey, USA, le Dr. Domenico Savatta, porte sur les modalités de l'annonce de son cancer au patient: le téléphone ou le face à face :
Je cite le Dr Savatta (dont j'ai traduit les propos) :
"Mes collègues et moi avons discuté des deux options en ce qui concerne l’annonce du cancer : le face-à-face avec le patient et l’annonce par téléphone. Nos opinions divergent.

La première solution consiste à faire revenir le patient pour une consultation et revoir avec lui les résultats de l’examen. Ainsi le patient sera à même d’entendre les explications de son urologue assis en face de lui. Les avantages de cette solution : Le patient est avec son urologue et peut être réconforté par le fait de se trouver dans cet univers médical contrôlé, où on lui communique personnellement un avis médical autorisé. Le patient a le temps d’ 'encaisser' la nouvelle et la possibilité de réagir en posant des questions auxquelles son urologue peut directement répondre. Les inconvénients de cette solution : Le patient attendra plus longtemps pour connaître les résultats de la biopsie. La première réaction correspond souvent à un état de choc, ce qui fait que la mémoire du patient occulte une partie de ce qui s’est passé en consultation. Ainsi, le patient risque de ne pas se rappeler qu’il doit par la suite se rendre à une autre consultation, durant laquelle son urologue lui expliquera les possibilités de traitement qui conviendraient pour son cas.

La seconde solution consiste à annoncer la nouvelle par téléphone au patient. Les avantages : Le temps d’attente du patient pour connaître ses résultats sera réduit au minimum. Le choc causé par la nouvelle pourra être absorbé et le patient sera mieux préparé à la consultation durant laquelle son urologue lui expliquera les différentes possibilités de traitement – consultation qui suivra cet entretien téléphonique. Les désavantages : le patient devra attendre avant de rencontrer son urologue pour discuter des possibilités de traitement. Il se peut que le patient rencontre moins de soutien chez lui que dans l’environnement médical professionnel pour faire face à cette épreuve."

C'est tout particulièrement sur ce point que le Dr. Savatta souhaiterait avoir l’opinion des urologues français...

Professeur Laurent Boccon-Gibod : "Indiscutablement, nos collègues Nord Américains sont assez friands de la communication des résultats des biopsies par téléphone. En France, nous avons plutôt l'habitude de communiquer les résultats lors de ce qui est maitenant appelé, par l'Institut National du Cancer (INCa), la consultation d'annonce qui, sur le plan de la qualité de la relation praticien-patient, me parait très largement bénéfique".

Je remercie vivement le Professeur Laurent Boccon-Gibod, chef du service de chirurgie urologique à l'hôpital Bichat - Claude Bernard, Groupement Hospitalier Universitaire Nord (AP-HP, Paris XVIIIème), pour ces informations qu'il m'a communiquées aujourd'hui.



Télécharger le Dispositif d'Annonce du Cancer (sur le site internet de l'INCa) :
==> cliquer ici.
Actualités : "Plan cancer : les actions achevées et à venir" (20/04/06):
==> cliquer ici.

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